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Philippe Roi et Tristan Girard

Jean-Daniel Forest

Chabbert, analogie, chercheur en neurosciences

Docteur Christian Chabbert

Le métier à tisser vertical et le système vestibulaire

le 7 janvier 2014 | par Philippe Roi et Tristan Girard

Par Philippe Roi(1), Tristan Girard(2), Jean-Daniel Forest(3)†, Christian Chabbert(4)
avec la contribution de Catherine Breniquet(5)

(1)Chercheur en Sciences Cognitives, spécialisé en Archéologie Cognitive ; (2)Chercheur en Sciences Cognitives ; (3)Spécialiste du Proche-Orient Ancien, Chercheur au CNRS, Enseignant à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, (4)Coordinateur de Recherche au CNRS, INSERM U1051, Institut des Neurosciences de Montpellier, Laboratoire de Physiologie et Thérapie des désordres vestibulaires, (5)Professeur en Histoire de l’Art et Archéologie Antiques à l’Université Blaise-Pascal Clermont II.
Relecture : Alain Sans (Professeur Honoraire de Neurobiologie Sensorielle, INSERM Université de Montpellier), Michel Leibovici (Docteur en Biologie Cellulaire et Moléculaire de l’Université Paris VI, Chercheur au CNRS, Institut Cochin, INSERM U1016), Bernard Schotter (Administrateur Général du Mobilier National des Manufactures des Gobelins de Paris). Avec la participation de Anne-Sophie Nivière (Chef d’Atelier de Haute-lisse à la Manufacture  des Gobelins.) et Marie-Pierre Puybaret (Tisserande et Enseignante en Art textile, Recherche de textiles anciens pour le CNRS).

Chez l’homme, la perception de la pesanteur et la notion de verticalité résultent de l’interaction de plusieurs capteurs sensoriels : les récepteurs vestibulaires – spécialisés dans la détection des déplacements statiques et des accélérations linéaires et angulaires –, les propriocepteurs musculaires et articulaires et les capteurs visuels. L’ensemble de ces informations sensorielles informe le système nerveux central sur la position de la tête par rapport au tronc et aux membres, et au-delà, sur la stature et le déplacement de l’organisme par rapport au vecteur gravitationnel. Sur un plan conceptuel, des similitudes apparaissent entre le mode de fabrication d’une étoffe à l’aide d’un métier à tisser vertical et le mode d’acquisition de l’information vestibulaire, responsable de la notion de verticalité chez l’homme. Le tissage d’un textile par les Mésopotamiens ainsi que l’acquisition et le traitement d’une information vestibulaire emploient, en effet, un même élément moteur : la force de gravité terrestre.

Au cours de la seconde moitié du 4e millénaire, les échanges entre les communautés de haute et de basse Mésopotamie auraient évolué (1), entraînant de profonds changements dans la production des textiles. Il est vraisemblable, en effet, qu’un déséquilibre soit survenu dans les relations de réciprocité entre les Urukéens et les villageois du Nord lorsque ces derniers se sont aperçus que la progéniture des ovins, acquise à grands frais, n’héritait pas des qualités rarissimes de leurs reproducteurs. De fait, les caractéristiques de leur pilosité ne pouvaient se transmettre d’une génération à l’autre sans poursuivre un régime alimentaire composé de céréales et de foin à forte teneur en sel (2) ; régime que les éleveurs du Nord ne pouvaient leur fournir, les récoltes suffisant à peine à nourrir leurs familles. De leur côté, les Urukéens, avec pour seule monnaie d’échange leurs céréales et leurs ovins, n’auraient plus été en mesure d’exiger autant de produits exotiques en ne fournissant que de la laine brute. Seul un produit à forte valeur ajoutée pouvait les sortir de cette impasse, autrement dit des étoffes d’une taille et d’une qualité exceptionnelles, pour la production desquelles les Urukéens auraient été contraints de transformer radicalement leurs méthodes de tissage.

Depuis quatre mille ans déjà, la technique du tissage était utilisée en Orient, comme l’attestent les fragments d’étoffes découverts dans la grotte palestinienne du Nahal Hemar. En outre, des vestiges attribuables à un métier à tisser horizontal datant du PPNB ont été découverts dans une maison de l’oasis d’El-Kowm, en Syrie (3).Le métier était constitué de deux barres parallèles appelées ensouples, retenues au sol par des piquets. Leur écartement déterminait la longueur du tissu. Les fils tendus en « 8 » entre les ensouples – appelés fils de chaîne – étaient attachés à raison d’un sur deux à une troisième barre horizontale fixe reposant sur deux supports latéraux. Cette barre, dite des lices, formait deux nappes que les artisans, assis de chaque côté du métier, permutaient à l’aide d’une lame de bois placée tantôt à plat, tantôt de chant. L’espace ainsi obtenu permettait le passage de la navette, une simple tige sur laquelle étaient enroulés plusieurs mètres de fil. La trame, une fois glissée, était ensuite tassée au moyen d’un couteau en bois. Au fur et à mesure que l’ouvrage progressait, la barre des lices et ses supports étaient déplacés (4).En revanche, on ne trouve aucune trace archéologique en Mésopotamie d’un autre type de métier à tisser dit vertical. Il est pourtant admis par les spécialistes du tissage antique que le métier vertical à chaîne lestée par des pesons constituait par excellence le métier à tisser des communautés du bassin méditerranéen. Il se composait de deux montants latéraux verticaux reliés en leur sommet par une ensouple, à laquelle étaient suspendus les fils de chaîne auxquels étaient accrochés des pesons en argile. Une barre d’écartement fixée en partie basse permettait de séparer en deux nappes les fils pairs et impairs, évitant ainsi tout risque d’emmêlement. Une barre des lices était chevillée à mi-hauteur des montants latéraux ; si celle-ci était fixe, la permutation était alors donnée par des baguettes prenant un fil sur deux en alternance. Elle était cependant le plus souvent mobile, reposant sur deux petites fourches en bois fixées sur les montants. Dans ce cas, un artisan toujours debout repoussait la barre contre les montants et la tirait pour assurer la permutation des nappes. La trame, glissée entre les fils de chaîne à l’aide d’une navette, était battue vers le haut, bras levés, avec un couteau de bois, de sorte que le tissu se formait de haut en bas. Les barres des lices pouvaient aussi être multipliées par paires. Manipulées en alternance, elles permettaient la réalisation de l’armure sergé. Une telle configuration se prêtait au tissage de la laine dont les fibres écailleuses s’accrochaient les unes aux autres. La conception même de l’outil offrait de nombreuses possibilités, comme la fabrication de bordures latérales automatiques ou la réalisation de longues étoffes si le métier était installé sur une fosse ou sur une estrade, grâce à une réserve de fils pelotés au-dessus des poids. Le tissu pouvait être enroulé autour de l’ensouple pendant le tissage. Ce procédé permettait de travailler toujours à bonne hauteur et de confectionner de longues bandes d’étoffes. Bien que ce type de métier à tisser soit identifiable sur certains vases grecs et que ses traces archéologiques soient nombreuses autour du bassin méditerranéen, la documentation orientale n’est pas aussi claire. Les pesons retrouvés sont habituellement interprétés comme des poids permettant de lester les filets de pêche, bien que deux spécimens découverts sur le site d’Oueili soient ornés d’un décor peint pour le moins incompatible avec un séjour dans l’eau. En conséquence, il est communément admis que les Mésopotamiens tissaient jusqu’au troisième millénaire sur des métiers horizontaux. Ce raisonnement, parfaitement étayé par la documentation disponible, est pourtant contestable. Il suffit, pour s’en convaincre, de décomposer les étapes préalables au tissage d’une étoffe, depuis la livraison des fibres jusqu’à leur fixation sur l’ensouple du métier à tisser. À ce jour, seul le travail des fibres de la laine est documenté par l’iconographie des sceaux-cylindres protodynastiques (5).Ceux-ci nous révèlent que ladite laine était mise en balles et pesée sous la conduite d’un personnage, suggérant un contexte « officiel » ou, tout au moins, la surveillance d’un contremaître dans un atelier. Les empreintes de sceaux nous apprennent aussi que la laine était placée dans un vase ou dans un panier pour être filée. La tâche consistait à étirer les mèches de façon à former un ruban, soigneusement enroulé autour d’une quenouille, pour qu’il puisse être filé à l’aide d’un fuseau. Commençait alors l’étape de l’ourdissage, terme désignant la préparation des fils installés sur l’ensouple du métier à tisser pour former la chaîne de la future étoffe. Avec un métier à tisser horizontal, l’ourdissage s’effectue entre trois piquets muraux, disposés en triangle, autour desquels est enroulé en « 8 » un seul fil de chaîne continu. La chaîne ainsi préparée est glissée sur les ensouples du métier horizontal, la permutation des fils de chaîne ayant été prévue dès l’ourdissage. Avec un métier à tisser vertical, l’ourdissage s’effectue d’une façon radicalement différente et nécessite de recourir à un métier à ourdir. Ce dernier se compose de trois piquets au sol, disposés en triangle, dont l’un est à distance variable des deux autres. Son emploi consiste à tisser une bande, destinée à servir de lisière de départ à la future étoffe. Les fils de trame de cette lisière sont étirés à la longueur voulue et enroulés autour du piquet à distance variable, pour être réunis, au fur et à mesure, en petites pelotes qui formeront la chaîne du futur tissu. La bande ainsi tissée est ensuite installée sur l’ensouple du métier vertical, et les pelotes sont déroulées afin de suspendre les poids à la chaîne ainsi formée. Partout où le métier à pesons est attesté, il existe un système d’ourdissage spécifique, celui que nous venons de décrire étant le plus élaboré. Il est conçu pour renforcer le tissu, là où le travail risque de l’endommager. Pour des étoffes dont la chaîne est plus longue, cette opération s’effectue à deux personnes : l’une, assise, tisse la lisière, tandis que l’autre, debout, étire le fil jusqu’au troisième piquet d’autant plus éloigné que le tissu doit être long. Cette opération est clairement représentée sur l’empreinte d’un sceau-cylindre du début du 3e millénaire (6).Deux personnages stylisés sont placés de part et d’autre d’un motif central. Celui de droite est assis sur un siège à dossier tandis que celui de gauche est debout. Ils semblent tous deux maintenir le motif central. Celui-ci se compose d’un carré dont les diagonales sont indiquées, et dont un côté semble s’enrouler autour de lui à la manière d’une spire carrée. Sous ce motif, on remarque trois points. En fait, ce dessin représente la fabrication d’une lisière sur un ourdissoir. En effet, les Sumériens, pour lesquels la représentation de trois quarts n’existait pas, avaient opté pour la juxtaposition de deux plans perpendiculaires sur une même représentation présentée à plat au regard. La lisière est néanmoins clairement indiquée au double côté inférieur, de même que l’étirement du fil, ainsi que les pelotes symbolisées par les points. La représentation de ce métier à ourdir sous-entend donc l’emploi, en Mésopotamie, du métier à tisser vertical, et ce, dès le 4e millénaire.

Le métier à tisser vertical étant décrit et replacé dans son contexte d’origine, il est intéressant de constater que son mode de fonctionnement repose sur deux concepts essentiels : la verticalité et la pesanteur. Chez l’homme, la perception de la pesanteur et la notion de verticalité résultent de l’interaction de plusieurs capteurs sensoriels : les récepteurs vestibulaires – spécialisés dans la détection des déplacements statiques et des accélérations linéaires et angulaires –, les propriocepteurs musculaires et articulaires et les capteurs visuels. L’ensemble de ces informations sensorielles informe le système nerveux central sur la position de la tête par rapport au tronc et aux membres et, au-delà, sur la stature et le déplacement de l’organisme par rapport au vecteur gravitationnel. Sur un plan conceptuel, des similitudes apparaissent entre le mode de fabrication d’une étoffe à l’aide d’un métier à tisser vertical et le mode d’acquisition de l’information vestibulaire, responsable de la notion de verticalité chez l’homme. Le tissage d’un textile par les Mésopotamiens ainsi que l’acquisition et le traitement d’une information vestibulaire emploient, en effet, un même élément moteur : la force de gravité terrestre.

La conception d’une étoffe sur un métier à tisser vertical consiste, nous l’avons dit, à fabriquer un tissu, grâce à l’entrecroisement de fils verticaux dits de chaîne – mis en tension par des masses inertielles appelées pesons – et d’un fil horizontal appelé trame. Dans ce cas précis, l’utilisation de la force de gravité comme force mécanique additionnelle constitue une avancée technique majeure par rapport à l’utilisation du métier à tisser horizontal. De la même manière, la détection de la pesanteur terrestre par les récepteurs otolithiques repose sur un dispositif biologique dont l’élément moteur est la force de gravité (7).Rappelons que l’oreille interne renferme, dans le volume d’une noisette, un récepteur acoustique d’une extrême sensibilité : la cochlée, et un système de capteurs inertiels fonctionnant dans les trois dimensions de l’espace : le vestibule. Ce dernier renseigne, en permanence, les centres nerveux supérieurs sur la position de la tête et sur les accélérations subies. Le vestibule se compose de cinq épithéliums sensoriels, chacun spécialisé dans la détection d’un type de stimulation mécanique. Les crêtes ampullaires présentes dans les trois canaux semi-circulaires disposés dans les trois plans orthogonaux de l’espace décèlent les accélérations angulaires, tandis que deux macules signalent les déplacements linéaires et les positions statiques de la tête. La macule utriculaire est orientée essentiellement dans un plan horizontal, perpendiculairement à la macule sacculaire située, quant à elle, dans un plan vertical. Toutes deux détectent la force de gravité selon la position de la tête. Le rôle des épithéliums sensoriels maculaires consiste donc à traduire les stimulations mécaniques, induites par la pesanteur, en messages électriques, lesquels sont ensuite décodés par le système nerveux central. Cette opération s’effectue grâce à la présence de mécanorécepteurs au niveau des macules, les cellules ciliées, dont l’apex baigne dans un liquide appelé endolymphe. Le bon fonctionnement de ces cellules dépend d’une part de la présence dans l’endolymphe d’une haute teneur en ions potassium K+ et d’autre part de l’existence, à la surface des macules d’amas de cristaux de calcite, les otolithes – littéralement pierres d’oreille – ou otoconies (8). Les otoconies rendent la membrane otolithique considérablement plus lourde que les structures et les liquides qui l’entourent. Un simple mouvement linéaire de la tête dans le champ de gravité terrestre entraîne un léger déplacement de cette membrane qui exerce, par un effet de cisaillement, une traction sur le kinocil et les stéréocils composant la touffe ciliaire des cellules sensorielles. La tension qui en résulte a comme conséquence l’ouverture des canaux situés à l’apex des stéréocils, conduisant à l’entrée d’un flux d’ions positifs – ou cations – à l’intérieur des cellules. Cet influx de cations entraîne une dépolarisation membranaire qui aboutit à l’excitation électrique des cellules. Les cellules ciliées opèrent ainsi une transduction mécanoélectrique. Un mouvement dans le sens opposé conduit à la fermeture des canaux de transduction et produit une hyperpolarisation qui inhibe les cellules. Ainsi, suivant la direction de la stimulation, chaque cellule ciliée favorise ou empêche le départ d’une information vers le système nerveux central (9).

À ce stade, une première comparaison peut être faite entre un métier à tisser vertical et une cellule ciliée de type I de la macule sacculaire. Les pesons qui exercent une traction sur les fils de chaîne fixés à l’ensouple peuvent en effet être comparés aux otolithes qui exercent une tension sur les stéréocils ancrés dans la plaque cuticulaire. Le rôle des pesons et des otolithes est identique : les pesons maintiennent tendus les fils de chaîne, ce qui est essentiel pour assurer un passage correct de la trame lors du tissage, tandis que les otolithes assurent un transfert efficace de la force gravitationnelle aux stéréocils lors du mouvement. De même, les fils de chaîne sont répartis en deux ou plusieurs nappes selon la qualité et les motifs que l’artisan souhaite donner à l’étoffe. Les stéréocils sont également organisés par nappes de même grandeur et disposés à l’apex de la cellule ciliée, mais selon une taille croissante jusqu’au kinocil. Il est à souligner que les fils de chaîne sont maintenus entre eux par une corde transversale enroulée autour de chaque fil pour que l’espace qui les sépare soit respecté et qu’ils ne s’enchevêtrent pas. De façon analogue, les stéréocils sont reliés entre eux par des liens protéiques latéraux qui maintiennent la cohésion mécanique de la touffe ciliaire lors des mouvements de déflexion, les empêchant ainsi de se chevaucher (10).Enfin, l’ensouple, sur laquelle sont fixés les fils de chaîne, peut être comparée à la plaque cuticulaire de la cellule sensorielle sur laquelle sont fixés les stéréocils (11). L’ensouple est munie, en effet, d’encoches dans lesquelles s’insèrent les fils de chaîne tandis que la plaque cuticulaire, structure rigide située à l’apex de la cellule, est pourvue de filaments d’actine qui s’interconnectent de façon croisée avec les racines des stéréocils afin de les maintenir solidement.

Une deuxième comparaison peut être réalisée entre le système d’ouverture des nappes du métier à tisser et celui des canaux de transduction des stéréocils d’une cellule ciliée de type I. Nous avons expliqué précédemment que lorsque le tisserand tire la barre des lices, les fils de chaîne auxquels elle est reliée se déplacent avec elle séparant les chaînes en deux ou plusieurs nappes. Ces dernières permettent le passage de la trame. Un déplacement de la barre des lices dans le sens opposé va, au contraire, entraîner la fermeture des nappes. Or, lorsque la touffe ciliaire d’une cellule vestibulaire s’incline dans le sens du kinocil, sous l’effet d’une accélération, la traction qui s’exerce sur les rangées de stéréocils, entraîne l’ouverture de canaux ioniques. Cette ouverture s’effectue par l’intermédiaire de liens protéiques apicaux – comparables aux lices – et permet l’entrée d’un flux de cations – comparable à la trame. À l’inverse, un déplacement de la touffe ciliaire dans le sens opposé entraîne la fermeture des canaux de transduction et stoppe l’entrée des cations (12).Il s’agit donc de processus similaires. En outre, l’intervention de l’homme sur l’étoffe lors du tissage s’effectue, nous l’avons dit, par l’intermédiaire de la barre des lices. Or, un métier peut comporter plusieurs barres des lices, reliées chacune à une nappe, qui, lorsqu’elles sont utilisées en alternance, permettent de concevoir des armures différentes. De la même façon, la modulation de l’information nerveuse d’une cellule ciliée vestibulaire s’effectue en ouvrant à l’état de repos un nombre de canaux de 10 à 15 % – mais jamais nul – et lors d’une accélération élevée un nombre de canaux pouvant atteindre plus de 50 % – mais jamais 100 %. En effet, tous les canaux ne peuvent être ouverts en même temps, au même titre qu’on ne peut tirer d’un seul mouvement tous les fils de chaîne. Si l’intensité de l’accélération est forte, de nombreux canaux sont ouverts et l’entrée de cations dans la touffe ciliaire est massive. À l’inverse, si l’intensité de l’accélération est faible, peu de canaux sont ouverts et l’entrée de cations dans la touffe ciliaire est faible. Il en résulte un courant de mécano-transduction plus ou moins fort dans la cellule sensorielle, une dépolarisation, entraînant une entrée de calcium et une libération de neurotransmetteur plus ou moins importante : le glutamate. Ce dernier va entraîner sur la fibre nerveuse un potentiel postsynaptique excitateur, à la suite d’une transformation de type analogique. Ce potentiel donnera à son tour des potentiels d’action, à la suite d’une transformation de type binaire (digital) qui par ses variations de fréquences va sculpter le message nerveux. De la même manière, le passage modulé de la trame à travers les nappes de fils de chaîne va permettre de réaliser des armures plus ou moins complexes, les trois armures fondamentales étant la toile, le sergé et le satin (13).

Une troisième comparaison enfin peut être faite entre le tassage serré ou lâche des duites – un aller-retour du fil de trame à travers les fils de chaîne –et le contrôle du message sensoriel par les cellules de type I. Le tassage a pour objet de réguler la densité des fils de trame dont dépend la qualité d’une étoffe. Pour tasser, l’artisan introduit entre les nappes une longue lame de bois munie de petits denticules sur une de ses extrémités. Le tassage varie selon qu’il est appliqué avec les denticules sur certaines zones de la trame ou avec le tranchant de la lame sur toute sa longueur. Si le tassage est trop serré, il fait perdre à la laine son moelleux et, si elle est teintée, lui fait subir une altération visuelle de sa coloration. Si le tassage est trop lâche, les fils de chaîne peuvent être visibles sous forme de pointillés, de tuyaux d’orgue ou de bouclettes. De même, une cellule ciliée de type I présente la singularité de pouvoir autoréguler la prise de l’information sensorielle, parce qu’elle est enserrée par un calice nerveux afférent qui contient à son apex des microvésicules synaptiques susceptibles de libérer un neurotransmetteur lorsque ce calice est dépolarisé. Ce neurotransmetteur provoque, pense-t-on, une contraction – ou au contraire un relâchement – du sommet de la cellule entraînant un ajustement de la plaque cuticulaire portant la touffe ciliaire. Cette contraction – ou ce relâchement – aurait pour effet de moduler la tension des stéréocils et par là même, la prise d’information de la cellule. Il existe, de surcroît, un deuxième contrôle assumé par les fibres efférentes. Ces fibres qui se projettent depuis le tronc cérébral vers la macule sacculaire contactent le calice nerveux afférent et libèrent des neurotransmetteurs qui exercent un contrôle sur la polarisation du calice. Elles pourraient ainsi agir indirectement sur la contraction apicale de la cellule ciliée de type I – qui dépend de la polarisation du calice – mais aussi sur la qualité du message sensoriel en modulant le départ du message nerveux vers les centres supérieurs et en assurant le contrôle et le cadencement de l’information vestibulaire (14).

NOTES
(1) Schwartz, M. et al. (1999) Pollock, S. (1999) Rothman, M.S. (2002) Huot, J.-L. (2004).
(2) NRC (1985) Kott, R. (1998) Jurgens, M.H. (2002) Chavancy, G. (2005).
(3) Barber, E.W. (1991).
(4) Breniquet, C. (2008).
(5) Frankfort, H. (1955).
(6) Hoffmann, M. (1974) Broudy, E. (1979) Breniquet, C. (2000)(2008).
(7) Harada, Y. et al. (1998) Lundberg, Y.W. et al. (2006) Sans, A. (2008).
(8) Sans, A. (2008).
(9) Flock, A.; Duvall, A.J. (1965).
(10) Goldberg, J.M. et al. (2012).
(11) Derosier, D.J.; Tilney, L.G. (1989).
(12) Naunton, R.F. (1975) Chan, Y.S. et al. (2002).
(13) Notons que l’armure satin n’est pas attestée à l’époque d’Uruk.
(14) Hurley, K.M. et al. (2006) Castellano-Mũnoz, M. et al. (2010).

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TABLE DES ILLUSTRATIONS
1) (à gauche) Girard, T. (à droite, de haut en bas) Amiet, P. 1980. La glyptique mésopotamienne archaïque. Courtoisie de l’auteur. Photographie de puisatiers : celtic-eau-solidaire.over-blog.com.
2) A) Amiet, P. 1972. Glyptique susienne. Courtoisie de l’auteur. B) Amiet, P. 1980. La glyptique mésopotamienne archaïque. Courtoisie de l’auteur. C) Girard, T. sous la direction de Breniquet, C.
3) (à gauche) Girard, T. sous la direction de Breniquet, C. (en haut à droite) © the Metropolitan Museum of Art. New-York USA. (en bas à droite) Tintinnabulum de la tomba Degli Ori. D’après Morigi Govi. Courtoisie de l’auteur.
4) (photographies à gauche) Frankfort, H. 1955. Genouillac, de H. 1934. Telloh 1. Wooley, G.L. Ur excavations II. Frankfort, H. 1955. ; (dessins à gauche) Amiet, P. 1980. La glyptique mésopotamienne archaïque. Courtoisie de l’auteur. (au centre) © the Metropolitan Museum of Art. New-York USA. (à droite) D’après Morigi Govi. Courtoisie de l’auteur.
5) (à gauche) A) Hoffmann, M. 1964. © Norsk Folkemuseum, Bygdoy-Oslo. B) Photographie Broudy, E. The Book of the Loom. 1979. C) Girard, T. sous la direction de Breniquet, C. (en haut à droite) © Penn Museum. Philadelphia. USA. (en bas à droite) Frankfort, H. 1955.
6) A) Girard, T. sous la direction de Breniquet, C. B) © Penn Museum. Philadelphia. USA. C) Girard, T. D’après Moret, P. et al. 2000.
7) (à gauche) Girard, T. d’après Purves, D. et al. 2005. Neurosciences. P 288. Fig 12.3. (encadré) Girard, T. Sans, A. (en haut à droite) Girard, T. d’après Leblanc, A. 1998. (en bas à droite) A) Girard, T. d’après Sans, A et al. 2001. B) Girard, T. d’après Purves, D. 2005. C) Girard, T. sous la direction de Sans, A.
8) A, B et C) Girard, T. sous la direction de Sans, A.
9) (à gauche) A) Photographie : Huot, J-P. 1994. Les premiers villageois de Mésopotamie. P 173. Photographie Mission de Larsa ; dessin : Girard, T. sous la direction de Breniquet, C. B) Photographie : Sans, A. et al. 2001. The Mammalian Otolithic Receptors: A Complex Morphological and Biochemical Organization. P 3. Fig 2b.; dessin, Girard, T. d’après Sans, A. (en haut à droite) Girard, T. sous la direction de Sans, A. (en bas à droite) Furness, D.
10) (à gauche) dessins Girard, T. (en haut à droite) Photographie : Hoffmann, M. 1964. The Warp-Weighted Loom. P 142. Fig 63. NKM, Copenhagen. (en bas au centre) Inconnue. (en bas à droite) Inconnue.
11) (à gauche) Girard, T. (à droite) Girard, T. d’après Huspeth, A.J. et al. 2000. PNAS. P 11 766. Fig 1.
12) A) (en haut) Girard, T. (en bas) a, b et c : Chabbert, C. Courtoisie de l’auteur. B) (en haut) Girard, T. (en bas) a, b et c : Girard, T. sous la direction de Puybaret, M.-P.
13) (à gauche) Girard, T. sous la direction de Breniquet, C. (à droite) Fibre efférente. Girard, T. sous la direction de Sans, A.
14) A) Photographie Sans, A. Courtoisie de l’auteur. B) Girard, T. d’après un dessin de Sans, A. et al. 2001. The Mammalian Otolithic Receptors: A Complex Morphological and Biochemical Organization. P 10. Fig 7a. C) Inconnue. D) Jarry, M. 1968.

 

© 2013. La Théorie Sensorielle.